Manière dont les âmes spirituelles doivent se comporter à l'égard de la mémoire
Source: Carmélites de Paris 1893
Résumé général de la manière dont les âmes spirituelles doivent se comporter à l’égard de la mémoire.
Avant de terminer ce sujet de la mémoire, il est bon de donner ici au lecteur comme un exposé de la conduite générale qu’il doit tenir, afin de pouvoir s’unir à Dieu en ce qui concerne cette puissance. Nous lui en avons déjà suffisamment tracé la voie, néanmoins ce résumé lui facilitera encore l’intelligence de notre doctrine.
Tout d’abord il faut observer que notre seule prétention est d’unir la mémoire à Dieu par la vertu d’espérance. Or, on n’espère que l’objet dont on n’a pas la possession; par conséquent, moins on possède, plus on a en soi de capacité et d’aptitude pour espérer l’objet de son désir; la perfection de l’espérance augmente donc d’autant. Au contraire, plus l’âme est en possession, moins elle est apte à espérer, et moins parfaite est son espérance. D’après cet argument, la mémoire se remplira de Dieu dans la proportion où elle se sera dégagée des formes ou des espèces. A la réserve cependant du souvenir de Dieu, ou de la sainte Humanité du Verbe, dont la contemplation est toujours un moyen efficace pour tendre au but, parce qu’il est le vrai chemin, le guide par excellence et l’auteur de tout bien. En dehors de Dieu et de son Christ, le vide est la meilleure disposition pour recevoir en soi la plénitude de l’Esprit d’amour.
Toutes les fois donc que s’offrent à l’âme des connaissances ou des impressions spéciales, elle ne doit pas s’y arrêter, mais si elle souhaite vivre dans une entière et pure espérance en Dieu, il faut qu’elle s’élève aussitôt, par un élan d’amour, au-dessus de ces images dans une abnégation absolue. Elle leur prêtera son attention, seulement autant que cette pensée lui sera nécessaire pour comprendre et pour remplir ses obligations. Alors même il faut éviter d’y mêler un esprit de propriété, de peur qu’elles ne deviennent à l’âme un obstacle et une entrave. A cette condition, il ne lui sera pas nuisible d’occuper sa pensée du souvenir des choses qu’elle est obligée de savoir et de faire. Les sentences placées à la fin du chapitre XIII du premier livre pourront lui être utiles dans ce travail de dépouillement.
Remarquez, je vous prie, mon cher lecteur, que notre doctrine est fort éloignée de celle de certains hommes pervers, dont l’orgueil et l’envie sataniques auraient voulu soustraire aux regards des fidèles la vue et le pieux usage des images de Dieu et de ses Saints; de manière à détourner ainsi les cœurs du culte qui leur est dû. Certes, nous ne prétendons pas, comme ces Iconoclastes, abolir les images, et empêcher les âmes de les vénérer; nous avons simplement à cœur de signaler la distance infinie qui existe entre elles et Dieu. Il faut que l’âme ne se fasse pas de la représentation un obstacle pour parvenir à la réalité: ce qui arriverait inévitablement si l’esprit se laissait captiver par ces objets, plus qu’il n’est utile.
Le moyen est nécessaire pour atteindre la fin, comme, par exemple, il est bon de se servir des images pour nous rappeler la pensée de Dieu et des Saints; mais s’arrêter au moyen plus qu’il n’est nécessaire, c’est se créer un obstacle. A plus forte raison, doit-on se tenir en garde contre les images et les visions intérieures, d’où peuvent découler une foule de périls et d’illusions. Tel est l’enseignement que je me suis efforcé d’inculquer par ce traité. Quant au respect et à la vénération dus aux images offertes à nos regards par notre Mère la Sainte Église Catholique, leur souvenir, au lieu d’être pour l’âme une pierre d’achoppement, lui deviendra très profitable, s’il réveille l’amour de l’objet qu’il représente. S’en servir à cette fin, c’est favoriser l’union divine, jusqu’à ce qu’il plaise au Seigneur d’élever l’esprit par les attraits de la grâce, de la représentation à la réalité, dans l’oubli de toute créature et de tout objet créé.