Quand mettre de côté le raisonnement dans la méditation?
Source: Carmélites de Paris
Quand l’homme spirituel peut-il commencer à dépouiller l’intellect des formes imaginaires, et mettre de côté le raisonnement dans la méditation?
Pour éviter toute confusion et toute obscurité, il est utile de développer cette doctrine, et de déterminer le moment favorable où il faut suspendre l’opération discursive, à l’aide des images, des formes et des figures. De même qu’il est expédient de laisser le travail de la méditation en temps opportun, au risque d’entraver la voie de l’union: ainsi il est également indispensable de ne pas le quitter avant le temps voulu par l’Esprit de Dieu, de crainte de revenir sur ses pas. Si les objets sur lesquels s’exercent les puissances inférieures, ne servent pas aux âmes avancées de moyens prochains pour l’union, néanmoins ils servent de moyens éloignés aux commençants, pour disposer et habituer leur esprit à s’élever, par les sens, aux choses spirituelles. En avançant dans la perfection, ils écartent de leur chemin l’obstacle des formes et des images grossières du temps, du monde et de la nature.
Les signes que nous avons annoncés sont au nombre de trois.
Le premier, c’est l’impuissance à méditer, à se servir de l’imagination, et le dégoût que l’on éprouve à s’y livrer comme autrefois; l’aliment agréable qui captivait les sens étant remplacé par un état de sécheresse et d’aridité. Tant que l’on trouvera de la facilité à méditer et à discourir, il faut bien se garder d’abandonner cet exercice, à moins de se voir établi dans la paix profonde dont il sera question dans le troisième signe.
Le second, c’est de ne reconnaître en soi aucun désir d’appliquer son imagination, ni ses sens à des objets particuliers, extérieurs ou intérieurs. Je ne prétends pas parler ici des écarts de l’imagination, car même au milieu du plus grand recueillement, elle est souvent volage, mais je dis que l’âme ne doit pas prendre plaisir à la fixer volontairement sur d’autres objets.
Le troisième signe et le plus certain, consiste dans la joie intime que l’âme trouvé en pleine solitude, dans une attention pleine d’amour à Dieu. Dans ce bienheureux état sa mémoire, son entendement ou sa volonté ne produisent aucun acte, du moins aucun acte raisonné, ses puissances savourent en repos la paix intérieure d’une connaissance générale, dégagée de toute intelligence distincte.
L’homme d’oraison doit constater en lui ces trois signes à la fois, avant de se hasarder sûrement à abandonner la méditation proprement dite, et à entrer dans la voie contemplative en se livrant à l’Esprit de Dieu. Ce n’est pas assez d’avoir le premier signe sans le second. L’impuissance d’exercer l’imagination et de méditer les choses divines comme auparavant, pourrait fort bien provenir de la négligence et de la dissipation d’esprit; c’est pourquoi il faut reconnaître en soi le second signe, c’est-à-dire n’éprouver nul attrait, nul désir de se distraire par d’autres pensées étrangères à Dieu. En effet, si les égarements de l’esprit et des sens procèdent de la tiédeur et des distractions, l’âme sent immédiatement revivre le besoin et l’envie d’appliquer ses facultés à différents objets, et de trouver un prétexte plausible pour quitter la méditation. Cependant le premier et le second signe seraient encore insuffisants, si on ne leur adjoignait le troisième. On peut se trouver dans une incapacité totale de discourir et de fixer sa pensée en Dieu, sans néanmoins se sentir attiré à d’autres objets; cette disposition peut être le résultat de la mélancolie, ou de quelque humeur envahissant la région du cerveau ou du cœur; ce qui est ordinairement la cause d’un certain engourdissement et d’une suspension des sens. Alors l’âme ne pense à rien, et n’a ni le désir, ni la volonté d’agir, et ne songe qu’à savourer les douceurs de cet assoupissement. A cet état, l’âme doit donc ajouter le troisième signe, c’est-à-dire cette connaissance de Dieu attentive et amoureuse, accompagnée d’une paix profonde.
A la vérité, cette connaissance intime reste presque inaperçue dans le principe, et cela pour une double raison. D’abord, à cause de sa subtilité et de son extrême délicatesse. Ensuite, parce que l’âme ayant été habituée à la méditation, dont l’exercice est plus sensible, perçoit à peine cette nouvelle notion insensible et déjà purement spirituelle. Cela arrive spécialement lorsque, faute de comprendre son état, l’âme s’agite, et s’efforce de revenir à sa première méthode. Tout en jouissant d’une paix intérieure et savoureuse, plus abondante qu’autrefois, son trouble l’empêche de la sentir et de l’apprécier. Mais à proportion de sa fidélité et de son abandon dans ce repos, elle sentira mieux cette connaissance générale et ineffable de Dieu, source inépuisable de joies enivrantes et d’une paix délicieuse exempte de tout travail. Pour éclairer cette matière si importante de la direction spirituelle, nous consacrerons le chapitre suivant au développement des causes et des raisons, qui prouvent la nécessité de ces trois signes.