Chap. 4 - De la foi et de la raison
Le consentement perpétuel de l’Eglise catholique a tenu aussi et tient qu’il y a deux ordres de connaissance, et que ces deux ordres sont distincts, non-seulement par leur principe, mais encore par leur objet : par leur principe d’abord, parce que dans l’un c’est par la lumière naturelle de notre raison, et dans l’autre par la foi divine, que nous connaissons. Par leur objet ensuite, parce que, indépendamment de ce que peut atteindre la raison naturelle, des mystères cachés en Dieu sont proposés à notre croyance; et ces mystères ne peuvent être connus à moins que Dieu ne daigne les révéler. C’est pourquoi l’Apôtre, qui assure que Dieu a été connu des gentils par ses oeuvres, lorsqu’il disserte sur la grâce et la vérité que nous a apportées Jésus-Christ, s’écrie : Nous prêchons la sagesse de Dieu dans son mystère, qui est demeurée cachée, que Dieu a prédestinée, préparée avant tous les siècles pour notre gloire, qu’aucun des princes de ce monde n’a connue, mais que Dieu nous a révélée par son Saint-Esprit : car l’Esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu. Et le Fils unique de Dieu rend à son Père ce témoignage qu’il a caché ces mystères aux sages et aux prudents. et qu’il les a révélés aux petits.
Mais la raison, il est vrai, illuminée par la foi, lorsqu’elle cherche avec soin, avec piété et modération, acquiert à l’aide de Dieu une certaine intelligence des mystères, et cette intelligence est très-fructueuse. La raison acquiert cette intelligence, soit par analogie avec les choses qu’elle connaît naturellement, soit par le lien que les mystères ont entre eux et avec la fin dernière de l’homme; toutefois elle n’est jamais rendue capable de les voir à l’instar des vérités qui constituent son objet propre. Car les mystères divins dépassent tellement par leur nature l’intelligence créée, que, même après qu’ils nous ont été transmis par la révélation et que nous les avons reçus par la foi, ils demeurent cependant couverts du voile de la foi et comme enveloppés d’un certain nuage, tant que nous voyageons dans cette vie mortelle loin du Seigneur; car nous marchons vers lui par la foi et nous ne le voyons pas à découvert.
Mais quoique la foi soit au-dessus de la raison, il ne peut jamais y avoir entre la loi et la raison un désaccord, une opposition véritable. Car c’est le même Dieu qui révèle les mystères et infuse la foi, et qui a donné à l’esprit de l’homme la lumière de la raison. Or, Dieu ne peut se nier lui-même, et le vrai ne saurait jamais contredire le vrai. Les vaines apparences d’une telle contradiction viennent surtout on de ce que les dogmes de la foi n’ont pas été compris et exposés au sens de l’Eglise, ou que de fausses opinions sont prises pour les données mêmes de la raison. Nous définissons donc que toute assertion contraire à la vérité connue par la foi est absolument fausse. L’Eglisé, qui a reçu, avec la charge apostolique d’enseigner, l’ordre de garder le dépôt de la foi, a aussi la mission et le droit divin de proscrire toute fausse science, pour que personne ne soit trompé par la philosophie et les vaines subtilités. C’est pourquoi, quant à ces sortes d’opinions connues pour être contraires à la doctrine de la foi, surtout si elles ont été réprouvées par l’Eglise, non-seulement il est interdit à tous les chrétiens fidèles de les soutenir comme des conclusions légitimes de la science, mais ils sont absolument obligés de les tenir pour autant d’erreurs qui portent le masque trompeur de la vérité.
Et non-seulement la foi et la raison ne peuvent jamais se combattre, mais elles se portent un mutuel secours, puisque la droite raison démontre les fondements de la foi, et qu’éclairée par sa lumière elle cultive la science des choses divines. Quant à la foi, elle délivre et préserve la raison des erreurs, et lui fournit d’amples connaissances. Tant s’en faut donc que l’Eglise s’oppose à la culture des arts et des sciences, qu’au contraire elle aide cette culture et la fait progresser de mille manières. Ni elle n’ignore en effet ni elle ne méprise les avantages qu’apportent aux hommes les sciences et les arts; bien plus, elle avoue que, de même que ces grandes choses viennent de Dieu, qui est le Seigneur des sciences, de même elles doivent, si elles sont traitées ainsi qu’il convient, avec le secours de la grâce, nous ramener à Dieu. La religion n’empêche certes pas que ces sortes de sciences n’usent dans leur domaine des principes et des méthodes qui leur sont propres; mais, tout en reconnaissant cette juste liberté, elle est pleine de vigilance et prend garde que les sciences dans leur opposition à la doctrine divine, n’embrassent des erreurs, ou que, franchissant leurs propres frontières, elles ne se jettent, pour y porter la perturbation, sur le terrain de la foi.
Ce n’est pas, en effet, comme une découverte philosophique susceptible de recevoir les perfectionnements de l’esprit humain, que la doctrine de la foi révélée de Dieu nous a été proposée, mais c’est comme un dépôt divin confié à l’épouse de Jésus-Christ pour qu’elle le garde et le proclame infaillibtement. Il suit de là qu’on doit retenir à jamais pour les dogmes saints le sens qu’a une fois défini notre sainte mère l’Eglise; et jamais, sous le faux prétexte de les mieux entendre, il ne faut s’écarter de ce sens. Qu’elles croissent donc et progressent magnifiquement et avec rapidité avec le progrès des âges et des siècles, l’intelligence, la science, la sagesse de chacun et celles de tous, celles d’un seul homme comme celles de toute l’Eglise, pourvu que ce soit seulement dans leur genre, c‘est-à-dire dans le même dogme, dans le même sens, dans le même sentiment.