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Abbé Borne - Défense du dogme Hors de l'Église point de salut

Source : Borne 1824

Quand cessera-t-on d’appeler Dogme absurde et barbare, un Dogme dont la vérité peut être prouvée par le raisonnement, et dont la croyance importe si fort au bonheur des hommes ? quand cessera-t-on de dire, en donnant le change, que c’est être intolérant de soutenir qu’il n’y a et ne peut y avoir qu’une seule religion vraie, une seule religion bonne, une seule religion dont la profession est nécessaire au Salut ? dans ce sens, à la bonne heure, nous ne repoussons pas le titre d’intolérants, nous nous honorons même de l’être, parce que nous ne voulons pas renoncer au sens commun, et professer l’indifférentisme, qui, selon nous, ne diffère guère de l’athéisme.

La saine philosophie met en thèse, et la raison démontre que l’indifférence en matière de religion est une absurdité impie et nuisible. La théologie ne dit pas autre chose, quand, d’après la révélation, elle enseigne le Dogme : hors de l’Eglise point de Salut. Serait-ce donc un préjugé contre la philosophie ancienne de se rencontrer ici avec la théologie ? je sais que la philosophie nouvelle a pour règle de répudier cet accord; je ne suis plus étonné qu’elle enseigne tant d’erreurs.

Le Dogme hors de l’Eglise point de Salut est, dit l’incrédule, un analhème injuste prononcé contre la plus grande partie du genre humain, qui est hors de l’Eglise, et qui est privée des moyens de la connaitre.

Objection frivole, dont Rousseau a fait grand bruit, mais qui ne peut scandaliser et séduire que l’ignorance. Il ne faut pas de longs raisonnemens pour y répondre, et ce n’est point ici un mystère à expliquer.

Qu’il nous soit permis dans celte courte discussion de mêler au raisonnement un peu de théologie. Nous osons promettre à ceux qui s’effarouchent de ce mot qu’elle sera raisonnable.

Au principe hors de l’Eglise point de Salut joignons cet autre principe, que la foi et la raison avouent également : Dieu veut le salut de tous les hommes, Tim 1. 2. Ce que celui-ci a de doux corrigera ce que celui-là paraît avoir d’amer. En effet de ces deux principes réunis il résulte évidemment la conséquence : que Dieu ne peut permettre qu’un homme né hors de l’Eglise y reste, à moins qu’il n’y ait de sa faute. La naissance dans l’erreur est un malheur réparable, elle n’est point un crime punissable. Celui à qui la providence a permis que ce sort défavorable échût, n’a point été abandonné; il est suffisamment pourvu des moyens qui peuvent le conduire à la connaissance de la vérité; et il a par conséquent d’une manière éloignée, mais assurée, les moyens de se sauver. La raison, la conscience, la loi naturelle et les lois positives qui ne la contredisent pas; voilà la loi de ceux qui n’en ont pas d’autre; voilà sur quoi Dieu les jugera*.

Ce que dit St.-Paul des gentils comparés aux Juifs peut se dire des infidèles et des hérétiques comparés aux catholiques : tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi. Quicumque sine lege peccaverunt sine lege peribunt. Rom. 2. 12. C’est-à dire que tous ceux qui auront péché sans avoir connu la loi de l’Evangile périront non par cette loi qu’ils n’ont pas connue, mais par la loi écrite dans leur coeur qu’ils n’ont pas observée.

Bourdaloue, dans un de ses sermons sur le jugement dernier, ſonde la sévérité du jugement de Dieu sur la foi du chrétien et sur la raison de l’homme criminel. Or l’homme qui n’aura pas eu la foi, aura du moins à répondre sur le chapitre de la raison, et ce que l’éloquent prédicateur dit ici aux catholiques peut s’appliquer également à ceux qui ne le sont pas

“Nous péchons contre toutes les vues de notre raison, et c’est par où Dieu d’abord nous jugera. Car enfin pourra-t-il dire à tant de libertins et à tant d’impies; puisque votre raison était le plus fort retranchement de votre libertinage, il fallait donc exactement vous attacher à elle; et pour ne donner aucune prise à ma justice, plus vous vous êtes licenciés du côté de la foi, plus deviez-vous être reguliers, sévères, irrépréhensibles du côté de la raison. Or voyons si c’est ainsi que vous vous êtes comportés. Voyons si votre vie a été une vie raisonnable, une vie d’hommes. Et c’est alors, chrétiens, que Dieu nous produira cette suite affreuse de péchés dont S.-Paul fait aux Romains le dénombrement, et qu’il reprochait à ces philosophes qui, par la raison, avaient connu Dieu, mais ne l’avaient pas glorifie comme Dieu.”

Le voilà le jugement de ces hommes qu’on nous accuse d’anathématiser sans fondement, et de damner pour n’avoir pas observé une loi qu’ils n’ont pas connue. Or je dis maintenant qu’on ne peut supposer qu’ils soient trouvés irréprochables sur le chapitre de la raison, sans avoir à répondre sur celui de la foi, à la quelle la raison les aura conduits. En effet qu’on se garde bien de prendre le change. Ecouter la raison, ou observer cette loi écrite dans le coeur, ou, comme le dit St.-Paul, faire naturellement ce qui est de la loi ne suffit pas pour empêcher de perir. Je l’ai déjà dit, et je le répète : ce n’est pas immédiatement au bonheur, c’est à la connaissance de la vérité que peuvent conduire, et que conduiront infailliblement les moyens de salut qui sont au pouvoir de ceux qui sont nés dans l’erreur; car c’est une des conditions du salut d’avoir connu et professé la doctrine de la véritable Eglise, et d’en avoir été membre. Celui qui à péché sans la loi périt sans elle, parce qu’il s’est rendu indigne de la connaître, en n’obéissant pas à celle qu’il connaissait.

Mais les circonstances ne sont-elles pas souvent telles que l’erreur est invincible, et qu’alors la bonne foi fait qu’on peut se sauver dans l’erreur; Non, on ne peut jamais se sauver dans l’erreur; cela répugne aux attributs de Dieu : à sa véracité à qui l’erreur déplaît essentiellement, à sa sainieté qui ne peut agréer un culte fondé sur l’erreur, à sa puissance à laquelle il coûte si peu de dissiper les nuages de l’erreur, à sa providence dont le plan dans la révélation a été de conduire tous les hommes au bonheur par la connaissance de la vérité. Omnes homines vult (Deus) salvos fieri, et ad agnitionem veritatis venire Tim. 1. 2.

J’ai donc droit de conclure que c’est un faux supposé : que l’erreur à l’égard de la véritable église puisse être invincible. Vous qui avez le malheur de n’être pas dans cette Eglise, désirez de la connaître; priez Dieu de faire briller à vos yeux les caractères de vérité qui la distinguent des sectes qui s’en sont séparées; ne vous rendez pas indignes de cette faveur, par une conduite que condamnerait votre conscience, qui prévient toujours le jugement de Dieu; et soyez surs que la vertu, qui est au pouvoir de tout le monde, vous conduira à la vérité plus sûrement que la science, qui n’est le partage que d’un petit nombre. J’en ai pour garant la volonté révélée de Dieu de sauver tous les hommes par la connaissance de la vérité.

Vous auriez beau être entravés par les habitudes de la naissance, les préjugés de l’éducation, les ténèbres de l’ignorance, les préventions de sectes, l’esprit de parti, l’éloignement des ministres de la religion, que toutes ces entraves ne pourraient rien contre la puissance de Dieu sollicitée par sa bonté, si la bonne foi dont vous vous vantez était sincère, et que votre conduite fut irréprochable. Multipliez même les obstacles, tant que vous voudrez; pourvu qu’il n’y en ait aucun de la part de votre volonté, Dieu en triomphera certainement. Rien ne résiste à sa puissance, et sa providence ne peut se trouver en défaut.

N’allez point argumenter par des exemples, et avec vos courtes vues imposer témérairement à Dieu des lois de miséricorde, sous le prétexte de vous montrer charitables à l’égard de certains hommes. Ne me parlez point de faits particuliers; les principes suffisent ici pour raisonner, et absoudre Dieu d’injustice à l’égard da salut des hommes pris en général. Mais du moment qu’on veut les prendre individuellement, pour juger la cause de la providence, on part de faits qui nous sont inconnus, et on veut entreprendre sur le secret de Dieu, qui seul connaît et l’économie de sa providence, et les dispositions du coeur de l’homme, et la règle selon laquelle il leur distribue ou leur refuse ses dons, et ce qu’il aime à faire pour les uns, et ce qu’il a droit de ne pas faire pour les autres .

Comment, disent les prétendus tolérans de nos jours, comment un homme fidèle aux lois de la probité et de l’honneur, et si généralement estimé, comme un tel, ne peut se sauver parce qu’il n’est pas catholique ? voici ce que j’ai à répondre à cela : d’abord je ne sais pas si cet homme est fidèle aux lois de la probité et de l’honneur, comme vous le dites, Dieu le sait. On est si généreux, du moins en paroles, à l’égard de certaines personnes; on se fait même aujourd’hui des idées si singulières de la vertu et de l’honneur; on canonise à si bon marché et même avec tant de scandale, qu’on est tenté de se défier de ces vertus si prônées, qu’on trouve si souvent en defaut. Je ne juge personne, mais, à parler en général, je ne puis croire que des vertus qui ne peuvent faire des croyans puissent faire des Saints; car je persiste à dire que, pour devenir Saint, il faut avoir été croyant, et que, pour devenir croyant, c’est moins la science que la vertu qui est nécessaire. Je dirai ensuite : gardez-vous de prendre du scandale et de l’inquiétude au sujet de cet homme qui interesse si fort votre charité. Si le dénouement de sa vie trompe notre prédiction, reposez-vous de son sort sur Dieu, qui saura bien qu’en faire. C’est là un mystère que le secret des voies de Dieu et peut-être la charité pour le prochain nous défendent d’approfondir, mais qui, certes, ne peut former une objection solide contre la providence dans l’ordre du salut. Encore un coup tenons-nous en aux principes, la question n’est pas de nature à pouvoir être décidée par les faits.

On insiste et l’on dit : il suffit de bien vivre, pour étre sauvé. J’en suis d’accord, mais on ne l’entend pas comme moi. Sans doute que bien vivre ne peut manquer de conduire celui qui est dans l’erreur à la connaissance des vérités révelées dont la croyance est en outre nécessaire. Mais quand on ajoute qu’il n’importe nullement de se mettre en peine des dogmes, pourvu que l’on pratique la morale naturelle; alors il n’y a plus d’équivoque, et l’on se jette témérairement dans une autre question : existe-t-il une révélation, et quelles en sont les conséquences ? ce serait nous écarter de notre but que de nous arrêter, à propos d’un mot trivial, à une grande question à la quelle on ne peut répondre que par un traité, et nous en avons tant sur cette matière. Je me borne à cette reflexion : Que dirait-on d’un sujet qui averti des ordonnances du prince, des châtimens dont il menace la désobéissance, et des récompenses qu’il promet à la fidélité, répondrait avec insouciance : que le prince ordonne ou defende tout ce qu’il voudra, il me suflit de bien vivre, et la raison me l’apprend ! voilà exactement le langage des déistes à l’égard de Dieu, qu’ils osent traiter comme l’on n’oserait pas traiter le moindre souverain. Et cependant s’il a plu à Dieu d’ajouter la révélation à la raison, et de commander la croyance de certains dogmes comme l’observation de certaines pratiques, qui êtes vous pour lui répondre : il me suffit de bien vivre, et la raison me l’apprend ?

Comment, disent encore les prétendus tolérants, comment tant de payens, tant de mahométans tant de juifs, tant d’hérétiques ne peuvent se sauver dans leur religion, à laquelle tout concourt à les attacher si fortement ? non, ils ne peuvent se sauver, tant qu’ils resteront dans l’erreur. Leur est il donc si difficile d’en sortir, et la vérité est-elle si éloignée d’eux, pour qu’ils ne sachent où la trouver ? les payens trouvent dans l’absurdité de leur mythologie de quoi les détromper, et les engager à chercher ailleurs le repos de la conviction. Les mahométans lisent dans l’histoire des preuves évidentes de l’imposture de leur prophète, et dans l’alcoran plus que des préjugés en faveur de l’évangile. Les juifs sont les dépositaires et les gardiens de nos livres, aussi propres à les ramener qu’à nous persuader. Les hérétiques ont dans leur histoire, dans leur nouveauté, dans leurs variations, dans leur principe d’examen, et dans leur tendance au socinianisme de quoi se convaincre qu’après être sortis de la véritable église, ils ont marché d’erreur en erreur jusqu’à n’être plus rien; et parmi eux mêmes je pourrais compter d’illustres adversaires qui les ont abandonnés, pour être quelque chose. Voilà pour les savans, qui sont nés dans l’erreur, des moyens d’arriver à la connaissance de la vérité.

Et si ces savans passent de l’examen de leur doctrine erronée à l’examen de la doctrine du chrélien catholique, quels puissants motifs de crédibilité ne trouveront-il pas pour passer à la foi ? je suppose qu’outre la mesure d’intelligence suffisante, ils ont encore les autres moyens naturels nécessaires, les livres et les hommes, pour faire ce second examen. Les payens et les mahométans ont au moins les missionnaires; les juifs et les hérétiques vivent au milieu de nous; et après tout tous, tant qu’ils sont, sont encore moins à plaindre que les ignorants, à qui les moyens ne manquent pas, comme nous le verrons.

Je m’occupe donc d’abord de ceux qui sont capables d’examen, et dans la possibilité naturelle d’être instruits de la vérité du christianisme et du catholicisme. Qu’on leur fasse envisager la doctrine chrétienne dans son ancienneté, dans ses prophéties, dans ses miracles, dans son auteur, daus ses apôtres, dans ses martyrs, dans ses dogmes, dans sa morale, dans sa propagation, dans ses effets, voilà la vérité du christianisme prouvée. Qu’on les rende ensuite attentifs à cette unité et à cette perpétuité dans l’enseignement, qui tiennent évidemment à l’autorité et à l’infaillibilité, que l’église catholique seule reconnait, et voilà la vérité du catholicisme prouvée. Il faudrait plusieurs volumes pour développer toutes ces preuves; je ne dois que les indiquer ici, où je n’ai point à faire un traité de la religion et de l’église.

Mais que dire des ignorants qui sont incapables du moindre examen, qui croient sur parole leurs parents et leurs ministres, et dont la naissance décide irrévocablement le parti qu’ils prennent à l’égard de la religion ? Qu’en dire ? que Dieu suppléera à leur incapacité, qu’il y a des preuves de sentiment qui ne peuvent pas plus induire en erreur que celles qui parlent à l’esprit, et qu’un paysan peut être aussi bien motivé à croire qu’un académicien.

Je dis plus, car je prétends que pour l’ignorant il y a des preuves extérieures proportionnées à sa capacité, des preuves qui n’exigent point de raisonnement, et qui parlent si éloquemment au coeur de tout homme non dépravé, qu’elles suffisent pour produire une persuasion raisonnable. J’en recueille quelques unes : l’imposante majesté du culte catholique; la pureté parfaite de la morale évangélique; la profession de la vie religieuse, qui met en action tout ce que la perfection chrétienne a de beau; la charité généreuse qui se pratique à l’égard des pauvres et des malades, dans les hôpitaux confiés aux soins de ces vierges chrétiennes dont le dévouement est si noble; les travaux pénibles du ministère apostolique supportés avec tant de zèle, de désintéressement et de courage par tant de missionnaires, et qui supposent en eux plus qu’une conviction profonde de la vérité, mais encore une inspiration, qui ne pourrait être une illusion, à moins que Dieu n’eût donné à l’erreur toutes les couleurs de la vérité.

Que de preuves sensibles de la vérité du catholicisme, auxquelles je pourrais en ajouter bien d’autres, et qui toutes réunies forment un faisceau de liumières, qui dissipe toutes les ombres aux yeux des moins clairvoyans.

Mais il est surtout une preuve à la portée du vulgaire, que l’on confond avec une cause d’erreur, et qui seule me paraît de la plus grande force, quoiqu’extrêmement simple; c’est l’autorité elle même du pasteur qui enseigne. Le principe de l’unité de doctrine dans l’Eglise catholique fait que l’autorité du pasteur équivaut à celle de toute l’Eglise. Chaque fidèle, en entendant son pasteur uni à l’Evêque qui est en communion avec le Pape, entend l’Eglise universelle, entend ce qui s’enseigne dans tous les lieux, et ce qui s’est enseigné dans tous les siècles. Chaque fidèle, en croyant ce qu’enseigne son pasteur, croit ce qu’ont cru St.-Augustin en Afrique, St.-Athanase à Alexandrie, St.-Ambroise à Milan, St.-Chrysostome à Constantinople, St.-Hilaire dans les Gaules, St.-Léon-le-Grand à Rome. Chaque fidèle, en croyant sur la foi de son pasteur, croit ce qu’on a toujours cru et ce qu’on croit par tout d’une mer à l’autre, depuis Rome jusqu’aux quatre extrémités de la terre, où sa domination a fini par être reconnue, conformément à l’oracle du prophète. Dominabi tur à mari usque ad mare. Quelle immense autorité qui dispense de tout raisonnement. L’ignorant, qui croit sur cette autorité si palpable et si frappante, est aussi bien fondé que le savant qui est en état de discuter, et l’enseignement du pasteur catholique remplace suffisamment, pour le vulgaire, et je dirai même pour les savans, l’examen dont ceux-ci sont seuls capables.

Cela me conduit à examiner quelle est l’autorité du pasteur protestant par rapport an vulgaire. Un Sophiste a voulu égaler cette autorité à celle du pasteur catholique, pour prouver que les motifs de croire pour le vulgaire sont les mêmes de part et d’autre; ce qui le porte à conclure ainsi :

“Si la méthode de celui qui suit la bonne route et celle de celui qui s’égare est la même, quel mérite ou quel tort a l’un plus que l’autre ? Leur choix est l’effet du hasard.”

Je suis étonné que le sophiste n’ait pas vu la différence. L’autorité du pasteur protestant est celle d’un seul homme, à laquelle, même d’après les principes de la secte, personne n’est obligé de se soumettre. Que peut donc alléguer le pasteur protestant, pour rassurer dans sa prétendue foi le peuple qu’il instruit ? est-ce l’ancienneté ? Luther, Calvin et leur doctrine ne datent que d’environ deux siècles et demi. Est-ce l’uniformité dans l’enseignement ? Que de variations n’a-t-on pas reproché, et ne reproche-t-on pas tous les jours aux protestants ! est-ce la diffusion de ces sectes ? elles ne sont point connues dans l’Orient, et sont beaucoup moins répandues en Europe et en Amérique que le catholicisme. Est-ce la caractère des prétendus réformateurs de l’église ? ne fouillons pas dans l’histoire, la tolérance de nos jours nous ferait peut-être un crime de révéler la vérité. Sont-ce les miracles ? je ne sache pas que Luther et Calvin aient prouvé leur mission de cette manière, et qu’il se soit jamais fait aucun miracle dans leurs sectes. On attribue à Calvin une prophétie, si elle se vérifie sa secte n’a pas à durer longtemps, il ne valait pas la peine qu’il se fit prophète à ses dépens. Et ce que nous venons de dire des luthériens et des calvinistes pent se dire également des anglicans. Ainsi le vulgaire protestant ne peut être retenu dans sa secte ni par l’autorité, ni par les raisons des ministres; et ceux qui sont nés dans d’autres erreurs ne peuvent également trouver, que dans l’église catholique, de quoi se fixer dans la recherche de la vérité.

Avec tout cela, dit-on, on en voit si peu quitter la religion dans la quelle ils sont nés. Je le crois bien, et il faut le dire; l’intolérance y fait beaucoup. Il est naturel que celui qui n’a pas de bonnes raisons emploie ce moyen, ou celui de la corruption. Mais certes ce ne sera pas chez les catholiques que l’on trouvera des zélateurs, qui, comme le dit Rousseau, convertiront quelque misérable payé pour calomnier sa secte. Qui sans l’intolérance le nombre des abjurans serait sans doute très-grand; car il est assez visible que dans certains états non catholiques, ce n’est pas seulement l’intolérance de fait qui entrave, mais encore l’intolérance légale; quelques conversions récentes d’hommes célèbres, qui ont été persécutés, ne le prouvent que trop. J’aurais beaucoup a dire sur ce point, pour accuser, et répondre aux injustes récriminations, mais je m’écarterais de mon sujet, auquel je reviens.

Après tout, dira-t-on, ces entraves ne sont pas la faute des particuliers qui les éprouvent. J’en conviens, et je conviens aussi que, pour beaucoup, les dilficultés d’arriver à la connaissance de la vérité et de la profeseer sont très-grandes; mais je prétends qu’elles ne sont point insurmontables. Plus il y a de difficultés pour certains, et plus Dieu fera pour eux. Nous sommes fondés à croire qu’il ne laissera pas dans l’erreur l’homme debonne foi qui fait ce qu’il peut, et qu’il aidera l’homme qui a les yeux dessillés et que la crainte retient.

Enfin que dire de ces hommes barbares livrés à de grossières erreurs, dans ces contrées éloignées du monde civilisé, où l’évangile n’a jamais pénétré ? sans doute que nous pouvons nous consoler facilement de ce qu’ils ne connaissent pas les avantages et les raffinemens de notre civilisation : nos lois, nos sciences, nos arts, notre luxe, notre politesse. Mais quel sujet d’affliction pour la charité de penser que le bienfait nécessaire de la révélation leur est inconnu, et qu’après s’être élevés si peu au-dessus de la bête dans la courte durée de cette vie, un sort plus malheureux les attend dans l’autre. Qu’ont-ils fait, pour que les missionnaires ne puissent aller leur prêcher la foi ?

Ne vous inquiétez pas tant sur le sort de ces hommes qui vous paraissent si disgraciés, mais que Dieu n’a point abandonnés. Je n’en suis pas réduit à recourir au péché originel, pour me borner à absoudre Dieu d’injustice; parce que je crois qu’il lui est possible d’être misericordieux à leur égard. Je reviens toujours à mon principe : bien vivre conformément à la mesure de lumières qu’ils ont reçue, voilà le moyen qu’ils ont en leur pouvoir, et qui ne peut manquer de leur obtenir cette science suffisante dont ils ont un besoin indispensable.

Mais ce moyen, ajoute-t-on, ne peut conduire à l’impossible; ces hommes sont inaccessibles au zèle des missionnaires. Et y a-t-il donc quelque chose d’impossible à Dieu ? S’il n’envoie pas un missionnaire, il enverra un Ange. La belle invention que cet Ange ! dit Rousseau. Il n’est pas étonnant qu’un philosophe qui ne croit pas à la possibilité des miracles, plaisante aussi indécemment. En recourant à l’Ange, nous ne mettons pas Dieu, comme le dit ce sophiste, dans la nécessité d’employer des machines; nous vengeons sa providence par un dénouement bien simple, qui ne coûte rien à sa puissance, et sans lequel il faudrait faire bien plus de frais de miracles, ou dire que la révélation était inutile. Je ne vois en effet que deux plans, d’après lesquels Dieu aurait pu se dispenser du miracle sur lequel l’incrédule plaisante avec aussi peu de décence que de bon sens; et les voici : c’eût été : ou de couvrir la terre de missionnaires, de manière qu’il n’en manquât, et n’en eût jamais manqué dans aucun coin de la terre, ce qui sans doute eût exigé une multiplication bien étonnante de miracles; ou bien que la loi naturelle eût été suffisante pour tous ceux d’entre les hommes qui, selon le sophiste, devaient être dans l’impossibilité de connaître la révélation; et alors la révélation étant inutile pour un si grand nombre d’hommes, je ne vois pas pourquoi elle serait nécessaire pour les autres; d’autant mieux que cette exception n’est appuyée sur d’autre fondement que la prétendue impossibilité des miracles. Voilà les conséquences auxquelles on est conduit, quand on veut faire de la philosophie avec de mauvaises plaisanteries. Oui sans doute que l’Ange est une belle invention, et que la plaisanterie du sophiste ne peut séduire qu’un ignorant, et égarer un esprit frivole.

Catholiques indifférents, qui n’en avez que le nom ! n’allez pas, par une fausse et absurde complaisance, vous scandaliser du précieux privilège de l’église dans laquelle vous avez eu le bonheur de naître. Pourquoi voulez-vous vous deshériter vous-même, et vous rendre inutile, par l’ingratitude, une faveur qui mérite toute votre reconnaissance ?

Et vous hérétiques injustement prévenus contre l’église catholique, seule dépositaire de la vérité, ne calomniez plus sa doctrine, en la traitant d’intolérante et de barbare. Elle enseigne que la vérité seule peut conduire au bonheur, et que Dieu fournit à tous les hommes les moyens de connaître la vérité; y a-t-il rien de plus raisonnable et de plus doux ? et que gagnez-vous à contredire cette doctrine, que vous seriez heureux de croire comme nous, et que vous ne pouvez rendre fausse en ne la croyant pas ?

L’intolérance catholique est une intolérance de principes et non de personnes; elle a pour cause la conviction de l’esprit et non la haine du coeur; elle est avouée par la raison; elle est une vérité de philosophie; elle est un caractère de vérité; elle est un dogme de notre religion; elle ne fait de mal à personne; ne pas la croire ne peut manquer d’être dangereux; et s’irriter contre celui qui la professe ressemble beaucoup à l’humeur que causerait à un esprit bizarre l’énoncé de toute autre vérité, même abstraite; c’est dire despotiquement : je ne veux pas que cela soit ainsi, parce que cela ne me plaît pas. Laissez, laissez ce que le dogme de l’intolérance a de désagréable pour vous; examinez ce qu’il peut avoir de vrai pour tous; et puisque vous êtes si zelés partisans de la liberté des opinions, souffrez que les catholiques soutiennent ce qu’ils croient comme un dogme.

Les philosophes du jour ont beaucoup non pas raisonné, mais déraisonné et fait du bruit au sujet de l’intolérance catholique; cela est naturel : ils ne pouvaient convaincre, ils ont cherché à séduire et à intimider. Ils n’ont pas tenté de discuter pour découvrir la vérité; ils ont fait la guerre à ceux qui la possédent, et voudroient la partager avec eux; ils n’ont cessé de donner le change en se donnant généreusement la tolérance qu’ils ne connaissent guère, et en nous laissant l’intolérance qu’ils ne définissent pas.

Ecoutons l’un d’eux, Rousseau que nous avons déjà cité :

“à Dieu ne plaise que jamais je prêche aux hommes le dogme cruel de l’intolérance, que jamais je les porte à détester leur prochain, à dire à d’autres hommes : vous serez damnés.”

Que veut dire ce langage hypocrite, qui cache maladroitement plus de haine pour les croyans que de charité pour les errants ? et s’il était sincère, serait-il bien philosophique ? nous ne damnons personne; nous vous disons seulement, à vous indifférents, que vous vous exposez à vous damner, et nous ne le voudrions pas. Nous vous disons que vous n’avez examiné que superficieilement ce point comme tant d’autres, et nous pensons qu’il vaut bien la peine même d’être approfondi. Nous vous disons que vous raisonnez mal, et nous ne vous contestons pas le droit de nous en dire autant; mais essayez de nous convaincre, comme nous voudrions avoir le bonheur de vous convaincre vous-mêmes; et ce ne sera sûrement pas par ces phrases hypocritement bienveillantes, qui ne sont point des raisons, et qui, pour les ignorants, peuvent devenir une provocation au fanatisme irreligieux, qui est si intolerant.

Que je dise : hors de l’Eglise point de salut, ce n’est pas de le dire qui vous damne, c’est d’être vrai qui peut vous damner. Un médecin tue-t-il un malade, par ce qu’il le condamne, s’il ne prend pas le remède qu’il lui prescrit ? la comparaison est exacle : vous qui êtes dans l’erreur, et que nous voudrions en tirer, oui nous vous disons que vous êtes perdus, si vous refusez d’embrasser la vérité que nous vous offrons, et qui seule peut vous sauver; et nous faisons plus que le médecin à l’égard du malade, car nous vous prouvons l’efficacité du remède.

Indifférents, hommes si étrangement inconséquens ! vous qui n’avez que des doutes, et qui prenez un ton dogmatique; vous qui naguère invoquiez la tolérance comme une grâce, et qui aujourd’hui réclamez le pouvoir de l’accorder comme un droit; comment osez-vous aller si loin, et aspirer presque à nous empêcher de prêcher un dogme, qui tient tellement à l’essence de notre religion, que sans ce dogme il ne peut y avoir de religion raisonnable ? Ne voyez-vous pas que c’est vous rendre coupables de l’intolérance que vous nous reprochez ? Si vous dites qu’il faut proscrire notre culte, qui n’a pas la complaisance des autres, c’est vous qui avez alors la cruauté de vouloir nous damner, puisque nous croyons qu’il n’y a pas d’autre moyen de salut. On pourrait bien plutôt demander la proscription du vôtre; je n’en fais pas le voeu, mais j’en fais la supposition, et je demande quel tort on ferait aux indifférents, dans quelque secte qu’ils soient enrôlés, de leur refuser une tolérance que leur conscience ne réclame pas, puisqu’ils professent que toutes les religions sont bonnes, et que par conséquent ils ne perdraient rien au change. Comme ensuite, selon moi, dire que toutes les religions sont bonnes c’est dire qu’elles sont toutes fausses, et la conséquence ne pouvant être niée par les indifférents que j’attaque, je leur dirai encore : pourquoi donc faire tant de bruit, vous qui n’avez aucune religion, pour qu’on l’ôte à ceux qui en ont une ? C’est vous qui êtes les seuls intolérants, et qui allez torturer les consciences et brouiller les états, pour faire triompher des chimères dangereuses auxquelles vous ne croyez pas.

Le catholique fidèle à ses principes est zélé et non intolérant, charitable et non persécuteur. C’est pour lui que sont les leçons et les exemples du divin auteur du christianisme, dont il professe la véritable doctrine, et dont il doit s’efforcer d’être l’imitateur. Eh quelle douceur dans ce divin maître ! il envoie ses apôtres comme des agneaux au milieu des loups; il recommande la patience et la paix; il commande l’amour des ennemis et la prière pour les persécuteurs; un zèle trop ardent ayant porté un de ceux qui l’accompagnaient dans sa passion à tirer l’épée, il lui ordonne de la remettre dans le fourreau, en disant quiconque se servira de l’épée périra par l’épée; dans une autre circonstance deux de ses apôtres lui ayant demandé de faire tomber le feu du ciel sur une ville coupable, il les blama sévèrement, en leur disant : vous ne savez sans doute à quel esprit vous appartenez. Aussi, et nous nous glorifions de pouvoir le dire, aussi les ministres de la religion de J. C. n’ont jamais méconnu son esprit en la défendant; au zèle ils ont toujours uni la douceur et la charité; ils se sont montrés forts et courageux, mais c’était en souffrant et non pas en attaquant. On ne les a jamais vus repousser par le glaive les impies qu’ils ont eu à combattre, et chercher à convertir, autrement que par les raisons, les exemples et la patience. S’ils en eussent agi autrement, la religion les aurait méconnus pour ses ministres.

Elle veut sans doute que l’on fasse la guerre à l’erreur, puisqu’elle est si préjudiciable au bonheur des hommes; mais elle veut aussi que l’on soit toujours plein de charité pour les errans, qui sont nos frères. Que l’on lıse attentivement l’histoire, et l’on verra combien l’Eglise a été persécutée, mais jamais que les catholiques aient été persécuteurs. Les catholiques n’ont jamais fait de martyrs, ils ont eu le courage de l’être, et ce que Lactance disait, lorsque le christianisme a commencé à sortir de l’oppression, a été la maxime de tous les siècles :

“Ce n’est point en faisant des martyrs, mais en le devenant soi-même qu’on défend la religion; ce n’est point par les cruautés, mais par la patience qu’on la persuade; c’est la déshonorer que de vouloir la soutenir par les tortures, les supplices et la mort.” defendenda est non occi dendo sed moriendo, non saevitiú sed patientia. Si sanguine, si tormentis, si malo religionem defendere velis, religio non defenditur, sed magis polluelur et violabitur.

O vous ennemis de la religion catholique ! quels prétextes avez-vous donc de vous plaindre de ceux qui la professent sincèrement ? voudriez-vous qu’ils portassent la complaisance jusqu’à abjurer un dogme de leur croyance ? ils renonceraient à leur salut, et ne vous sauveraient pas.

Vous persécutent-ils, parce qu’ils ne pensent pas comme vous ? je le vois : c’est le zèle des ministres de cette religion qui vous déplaît, et le scandale ne l’a que trop prouvé. Et quel mal peut vous faire ce zèle, si ce n’est de vous persuader la vérité ? l’erreur dans laquelle vous êtes est trop dangereuse, pour que vous ne pardonniez pas aux missionnaires de chercher à vous en tirer. Pour qui, comme le catholique, croit qu’il n’y a qu’une religion bonne, hors de laquelle il n’y a pas de salut, le zèle est un devoir. Apprenez à connaître cette vertu que vous ne connaissez-pas.

Qu’est ce que le zèle ? c’est ce noble sentiment, qui rend l’âme passionnée pour le bien, se produit au dehors par les travaux, le courage et la patience, ne trouve de satisfaction que dans le bonheur des autres, et est la condamnation la plus éloquente des vices les plus bas : l’envie, l’égoïsme et l’oisive indifférence. Eclairer les hommes sur leurs véritables intérêts, et leur faire aimer la vertu, voilà l’objet du zèle; la gloire de Dieu et le bonheur des hommes, voilà ses motifs; l’instruction la prière, l’exemple, voilà ses moyens; la charité, la prudence, la douceur, la patience, voilà ses pieux artifices; sacrifices de toute espèce : du repos, de la fortune, des honneurs, de la santé, de la vie même, voilà ses travaux; le ciel et le ciel seul, voilà la récompense à laquelle il aspire.

Il est véritablement grand l’homme en qui on peut louer le zèle, et il n’appartient qu’à l’Eglise catholique de former de tels hommes. Qu’il est glorieux pour cette Eglise le spectacle de ces illustres conquérants spirituels, qu’elle a formés en si grand nombre, et qui ont accru son domaine jusqu’aux extrémités de la terre, sans autres armes que la Croix ! il est beau de les voir parcourant les continents, et traversant les mers, pour aller chercher les peuples les plus inaccessibles et les plus barbares, leur porter les lumieres et les bienfaits de la révélation, et attester ainsi au monde entier que la providence a des moyens de faire connaître la vérité à ceux-mêmes qui en paraissent le plus éloignés.

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