Foi catholique traditionnelle
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Marie d'Agréda

Source: Marie d’Agréda, Cité de Dieu

La divine Sagesse avait préparé toutes choses pour séparer de la masse corrompue de la nature humaine, la Mère de la grâce. Le nombre destiné des patriarches et des prophètes était déjà complet et dans sa perfection, et les hautes montagnes étaient élevées sur lesquelles cette Cité mystique de Dieu se devait d’être édifiée.

Il lui avait préparé par la puissance de sa droite, des trésors incomparables de sa divinité, pour la doter et pour l’enrichir. Il lui tenait mille anges tout prêts pour sa garnison et pour sa garde, et afin qu’ils servissent comme des sujets très fidèles leur Reine et leur Maîtresse. Il lui prépara une lignée royale et très noble, dont elle descendrait; et il lui choisit des parents très saints et très parfaits dont elle devait immédiatement naître, sans qu’il s’en pût trouver de plus saints dans tout ce siècle; car s’il y en eût eu de plus grands et de plus propres pour être parents de celle, que le même Dieu choisissait pour Mère, il n’est point de doute que sa divine Majesté ne les eût choisis.

Il les disposa par une abondance de grâces et de bénédictions de sa droite, et les enrichit de toutes sortes de vertus et d’une lumière particulière de la science divine et des dons du Saint-Esprit.

Après leur avoir annoncé qu’ils auraient une fille admirable et bénie entre toutes les femmes, l’ouvrage de la première conception, qui était celle du très pur corps de Marie, s’exécuta. L’âge de ses parents, quand ils se marièrent, était, celui de sainte Anne, de vingt-quatre ans, et celui de saint Joachim de quarante-six. Vingt années se passèrent après leur mariage sans avoir d’enfants, et ainsi la mère avait, au temps de la conception de la fille, quarante-quatre ans et le père soixante-six.

Et quoiqu’elle fût selon l’ordre commun des autres conceptions, néanmoins, la vertu du Très-Haut lui ôta ce qu’il y avait d’imparfait et de désordonné, ne lui laissant que le nécessaire et le précis de la nature, afin que le corps le plus excellent qui fût et qui sera jamais entre les pures créatures, fût formé sans la moindre imperfection.

Dieu corrigea les fonctions des parents de notre Reine, et sa grâce les prévint, afin qu’elles fussent dans cette occasion vertueuses, méritoires et saintement réglées; de manière qu’agissant selon l’ordre commun, elles étaient dirigées, corrigées et perfectionnées par la force de cette divine grâce, qui devait opérer son effet, sans que la nature y portât aucun obstacle. Cette vertu céleste éclata bien plus en sainte Anne, à cause de sa stérilité naturelle; son concours étant miraculeux en la manière et très pur en la substance, car elle ne pouvait concevoir sans miracle, parce que la conception qui se fait sans ce secours et par la seule vertu et le seul ordre naturel, ne doit pas dépendre immédiatement d’aucune autre cause surnaturelle.

Mais en cette conception, quoique le père ne fût pas naturellement infécond, la nature était déjà néanmoins corrigée et quasi éteinte en lui, à cause de son âge; et ainsi elle fut par la vertu divine, réparée et prévenue; de sorte qu’elle put opérer et opéra de son côté avec toute perfection, et retenue des puissances et proportionnellement à la stérilité de la mère. La nature et la grâce concourant en l’un et en l’autre en ce qui était seulement précis et nécessaire; et cette grâce fut surabondante et puissante pour engloutir la même nature, ne la confondant pas pourtant, mais la relevant et la perfectionnant d’une manière miraculeuse; afin que l’on reconnût que la grâce s’était chargée de cette conception, ne se servant de la nature, que pour en prendre ce qu’il fallait, pour donner à cette ineffable fille des parents naturels.

La stérilité de la très sainte mère Anne, ne fut pas guérie par la réparation de ce qui manquait à la complexion et à la faculté naturelle, pour être féconde et pour concevoir sans aucune différence des autres femmes; mais le Seigneur concourut avec la puissance stérile par un autre moyen plus miraculeux, afin qu’elle fournît une substance naturelle à la formation de ce corps virginal. Ainsi la puissance qui le conçut et la substance dont il fut formé furent bien naturelles, mais leur emploi fut l’effet du concours miraculeux de la vertu divine. Et le miracle de cette admirable conception cessant, la sainte mère se trouva dans sa ancienne stérilité, en laquelle elle ne pouvait plus concevoir pour n’y avoir ajouté, ni diminué aucune nouvelle qualité à la complexion naturelle.

Il me semble que ce miracle se développera mieux par l’exemple de celui que Jésus-Christ fit, quand saint Pierre marcha sur les eaux (Matt., XIV, v. 29): car, pour le soutenir, il ne fut pas nécessaire de les affermir, ni de les changer en cristal, ou en glace, sur quoi il marchât naturellement, et plusieurs autres après lui sans aucun autre miracle, que de les avoir affermies. Mais le Seigneur put faire qu’elles soutinssent le corps de l’apôtre sans les affermir, concourant miraculeusement avec elles, de sorte que le miracle étant passé, les eaux se trouvèrent liquides, comme véritablement elles l’étaient, lorsque saint Pierre y marchait, puisqu’il commençait de s’enfoncer; et le miracle continua sans les altérer par une nouvelle qualité.

Le miracle en vertu duquel sainte Anne, mère de la très pure Marie, conçut, quoiqu’incomparablement plus admirable que celui-là, lui fut néanmoins fort semblable; ainsi les très saints parents de cette sacrée fille furent gouvernés et dirigés dans cette innocente conception par la grâce, qui en éloigna si fort toute sorte de sensualité, que l’aiguillon du péché originel n’y eut aucune part, et il ne s’y trouva nulle impression de ces effets qui accompagnent la conception des autres personnes. De sorte que ce qui servit à cette très pure conception, n’étant accompagné d’aucune imperfection, l’action en fut beaucoup méritoire. Ainsi par cet endroit il fut très facile, que le péché ne se trouvât point, ni n’eût aucun pouvoir dans cette conception, la divine Providence l’ayant par une voie extraordinaire déterminé de la sorte.

Le Très-Haut réservant ce miracle pour celle qui seule devait être sa très digne Mère; parce qu’étant convenable qu’elle fût engendrée dans le substantiel de sa conception selon le même ordre que les autres enfants d’Adam l’étaient, il fut aussi très convenable et dû à sa dignité, que, sans détruire la nature, la grâce y concourût avec elle, dans toute l’étendue de sa vertu et de son pouvoir, en se signalant et opérant avec plus de distinction en elle, qu’en tous les enfants d’Adam, et au-dessus même de nos deux premiers pères, qui furent les premiers à donner l’entrée à la corruption de la nature et à la concupiscence désordonnée.

La sagesse et le pouvoir du Très-Haut prirent un si grand soin, à notre façon de parler, de la formation du corps très pur de Marie, qu’il le composa avec un grand poids et une juste mesure, tant en la quantité, qu’entre les qualités des quatre humeurs naturelles, sanguine, mélancolique, flegmatique et bilieuse; afin qu’il aidât sans aucun empêchement, ni contradiction, par la proportion de ce mélange très parfait et de cette composition bien réglée, les opérations d’une âme aussi sainte que celle qui le devait animer.

Ce tempérament miraculeux fut ensuite comme le principe et une espèce de cause de la sérénité et de la paix, que les puissances de la Reine du ciel conservèrent durant toute sa vie, sans qu’il y eût entre ces humeurs aucune guerre, ni contradiction, ni rien d’excessif; au contraire, elles s’entr’aidaient et se secouraient réciproquement, pour se conserver dans cet ouvrage admirable, sans corruption et sans pourriture; car jamais le bienheureux corps de la très sainte Marie n’en a souffert aucune; et il ne se trouva en lui aucun manquement, ni superfluité, ayant toujours toutes les qualités et la quantité dans une juste proportion, sans plus ni moins de sécheresse, ou d’humidité que celle qui lui était nécessaire pour sa conservation; ni plus de chaleur que celle qui lui suffisait pour sa défense et pour la digestion; ni plus de froideur que celle qu’il fallait pour rafraîchir et pour tempérer les autres humeurs.

Bien que ce corps fût en tout d’une admirable composition, il ne laissa pourtant pas de ressentir et d’endurer les rigueurs du chaud, du froid et les autres incommodités, auxquelles nos corps sont naturellement sujets; car plus il était proportionné et parfait, plus il était sensible aux moindres impressions, à cause de la juste égalité qui était dans les humeurs, qui faisait qu’elles n’avaient pas tant de force pour résister à leurs contraires, qui font des efforts plus violents, lorsque le tempérament est plus réglé, et que par sa délicatesse il est plus susceptible des altérations, qui peuvent s’y produire, ainsi que nous remarquons dans les excès qui arrivent à tous les corps.

Celui qui se formait miraculeusement dans le sein de sainte Anne, n’était pas capable, avant d’avoir reçu l’âme, des dons spirituels; mais il l’était de recevoir les dons naturels et ceux-ci lui furent accordés par un ordre et par une vertu surnaturelle, et avec toutes les qualités requises à la fin de la grâce singulière, pour laquelle cette formation, faite au-dessus de tout ordre de la nature, et selon le plus élevé de la grâce, était ordonnée. Ainsi il reçut une complexion et des puissances si excellentes, que toute la nature n’en pouvait pas former par elle seule de semblables.

Comme la main du Seigneur forma nos premiers pères Adam et Ève avec ces qualités et ces avantages, qui convenaient à la justice originelle et à l’état d’innocence; dans lesquels ils excellèrent et furent plus privilégiés, que n’auraient été tous leurs descendants, quand même ils se seraient maintenus dans cet heureux état, parce que les oeuvres du Seigneur seul, sont plus parfaites.

Sa toute-puissance opéra de cette façon, bien qu’en un degré plus excellent, en la formation du corps de la très pure Marie, avec une providence et une grâce d’autant plus grande et plus abondante, que cette créature surpassait, non seulement nos premiers parents, qui se laissèrent incontinent après tomber dans le péché, mais toutes les autres créatures, tant corporelles que spirituelles. Suivant notre manière de concevoir, Dieu prit plus de soin à composer seulement ce petit corps de sa très sainte Mère, qu’il n’en prit à former tous les cieux et tout ce qu’ils renferment. Et nous devons commencer de mesurer avec cette règle les dons et les privilèges que reçut cette Cité.

La correspondance des sept jours qu’il mit en cet ouvrage, avec les sept autres qu’il employa, selon la Genèse, à créer tout le reste de l’univers; puisqu’il reposa sans doute ici dans l’accomplissement de cette figure, ayant créé la première de toutes les pures créatures et nous donnant avec elle, le principe du grand ouvrage de l’incarnation du Verbe divin et de la rédemption du genre humain. Ainsi ce jour-là fut comme un jour de fête pour Dieu, aussi bien que pour toutes les créatures.

C’est à cause de ce mystère de la conception de la très glorieuse Marie, que le Saint-Esprit a ordonné que l’Église lui consacrerait le jour du samedi, comme celui auquel elle avait reçu le plus grand bienfait, lorsque son âme très sainte fut créée et unie à son corps, sans que ni le péché originel, ni le moindre de ses effets s’y trouvassent.

Le jour de sa conception, que l’Église célèbre aujourd’hui, ne fut pas celui de la première du corps, mais le jour de la seconde conception, ou infusion de l’âme, avec laquelle il demeura neuf mois complets dans le sein de sainte Anne, qui font le temps, qu’il y a depuis la conception, jusqu’à la nativité de cette Reine. Durant les sept jours qui précédèrent l’animation, le seul corps fut disposé et organisé par la vertu divine, afin que cette création ou formation répondît à celle, que Moïse raconte de toutes les créatures (Gen., 1) qui composèrent et qui formèrent le monde dans son commencement.

Ce fut à l’instant de la création et de l’infusion de l’âme de la très heureuse Marie, que la très sainte Trinité dit ces paroles avec bien plus d’affection et de tendresse, que celles qui se lisent dans le premier chapitre de la Genèse : « Faisons Marie à notre image et à notre ressemblance, rendons-la notre véritable Fille et Épouse, pour en faire la Mère du Fils unique de la substance du Père » (Gen., I, v. 26).

Par la force de cette divine parole et par l’amour qui l’accompagnait en sortant de la bouche du Tout-Puissant, l’âme très heureuse de l’incomparable Marie fut créée et infusée dans son corps, et remplie au même instant de grâces et de dons par-dessus les plus hauts séraphins, sans qu’il y eût aucun moment, auquel elle se trouvât dépouillée, ni privée de la lumière, de l’amitié et de l’amour de son Créateur, ni que la tache et les ténèbres du péché originel la pussent toucher en aucune manière; au contraire, elle fut créée dans une justice plus parfaite et plus relevée, que celle qu’Adam et Ève reçurent en leur création.

L’usage de la raison la plus parfaite, qui devait être proportionnée aux dons de la grâce qu’elle recevait, lui fut aussi accordé; afin que ces dons ne fussent pas inutiles un seul instant, et qu’ils opérassent des effets si admirables, que son Créateur y pût prendre de souveraines complaisances.

J’avoue d’être ravie et absorbée dans la connaissance et dans la lumière, que je reçois de ce grand mystère, et que mon cœur (dans l’insuffisance où je suis, d’exprimer ce qu’il ressent) se transforme tout en des affections d’admiration, afin d’imposer le silence à ma langue.

Je vois la véritable arche du Testament construite, enrichie et placée dans le temple d’une mère stérile, avec bien plus de gloire, que la figurative dans la maison d’Obédédom (II, Reg., vi, v. 11 et 12), de David et dans le temple de Salomon (III, Reg., viii, v. 6 et c. vi, v. 16). Je vois l’autel formé dans le sanctuaire, où le premier sacrifice, qui doit vaincre la colère de Dieu en apaisant sa justice, se doit offrir; et je vois sortir la nature hors de ses limites dans sa formation, et établir de nouvelles lois contre le péché, sans garder les communes, ni du péché, ni de la nature, ni même de la grâce; et qu’une autre nouvelle terre et d’autres cieux nouveaux commencent à se former (Is., LXV, v. 17), dont le premier est le sein d’une très humble femme, auquel la très sainte Trinité donne ses applications, et ordonne que d’innombrables courtisans de l’ancien ciel assistent, et qu’il y en ait mille d’entre eux, pour garder ce trésor, ce petit corps animé, qui n’est pas plus grand qu’une petite abeille.

Dans cette nouvelle création, la voix du Seigneur retentit bien plus fortement que dans la première, lorsque, se complaisant en l’ouvrage qu’il venait de faire, il dit qu’il était très bon. Que la faiblesse humaine s’approche de cette merveille avec une pieuse humilité, qu’elle la publie et avoue la grandeur du Créateur, qu’elle reconnaisse le nouveau bienfait, que tout le genre humain reçoit en sa réparatrice. Que le zèle vaincu par la force de la divine lumière cesse présentement; car si la bonté infinie de Dieu (ainsi qu’il m’a été découvert) regarda le péché originel en la conception de sa très sainte Mère, comme avec des yeux de courroux et irrité contre lui, se glorifiant d’avoir une juste cause et une belle occasion de l’éloigner et d’arrêter son courant, comment la sagesse humaine peut-elle approuver, ce que Dieu a eu si fort en horreur?

Au temps de l’infusion de l’âme dans le corps de cette divine dame, le Très-Haut voulut, que sa mère sainte Anne, ressentît et reconnût d’une façon très relevée la présence de la Divinité, par laquelle elle fut remplie du Saint-Esprit et émue intérieurement de tant de joie, et d’une dévotion si sensible et si au-dessus de ses forces ordinaires, qu’elle fut ravie en une extase très sublime, où elle reçut de très hautes connaissances des mystères les plus cachés, et elle loua le Seigneur par de nouveaux cantiques de joie.

Ces favorables effets durèrent tout le reste de sa vie; mais ils furent plus grands pendant les neuf mois, qu’elle garda dans son sein le trésor du ciel; car durant ce temps-là, ces faveurs lui furent renouvelées et plus souvent réitérées, recevant une connaissance particulière des Écritures saintes et de ses profonds mystères. O très fortunée fille! soyez appelée bienheureuse et louée de toutes les nations et générations de l’univers.

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