Gouvernement
Saint Thomas d’Aquin, Opuscule 20, chap. 2, Il vaut mieux pour une société d’être gouverné par un seul, que par plusieurs : “… il faut voir s’il est plus avantageux pour une ville ou une province d’être gouvernée par un seul ou par plusieurs. Cette question est décidée par la fin même du gouvernement. En effet, tous les soins et tous les efforts d’un chef doivent tendre à procurer le salut de ce qui est sous sa domination. Un pilote habile doit éviter les écueils et conduire au port son navire sain et sauf. Or le bien et le salut d’un peuple formé en société est la conservation de son unité, ce qui s’appelle la paix, sans laquelle la vie sociale est sans utilité, et bien plus, une société qui ne s’entend pas, est insupportable à elle-même.
C’est donc là la grande tâche des conducteurs des peuples, et à laquelle ils doivent consacrer tous leurs soins, de procurer l’unité de la paix. Ce serait donc injuste de lui demander s’il établit la paix, parmi le peuple soumis à son gouvernement, comme à un médecin s’il guérit ses malades. On ne doit en effet rendre personne responsable de la fin qui est en vue, mais des moyens qu’ou emploie. C’est pourquoi l’Apôtre, après avoir recommandé l’unité au peuple fidèle, dit : « Efforcez-vous de garder l’unité de l’esprit dans le lien de la paix. »
Donc , plus un gouvernement procurera l’unité de la paix, plus il sera utile. Cela, en effet, est le plus utile qui conduit plus sûrement à la fin qu’on se propose. Or, il est évident que ce qui est un en soi a plus de puissance pour produire l’unité que ce qui est multiple. De même que le feu a plus d’efficace qu’un objet qu’il a réchauffé. Donc le gouvernement d’un seul vaut mieux que celui de plusieurs.
De plus, il est clair que plusieurs, s’ils n’ont pas la même pensée, sont incapables de conserver la société. Car il faut qu’ils aient les mêmes vues sur le mode de gouvernement, de même que plusieurs ouvriers qui remorquent un vaisseau, n’en viendraient jamais à bout, s’ils n’étoient unis de quelque façon. Or, on est uni quand on tend au même but. Il en est de même dans la nature, car elle fait dans toutes choses, ce qu’il y a de mieux : or, la conduite ordinaire de la nature procède d’un seul principe. Car, dans notre organisme, il y a un seul membre qui fait mouvoir tous les autres c’est-à-dire le coeur; et dans les facultés de l’ame, il y a une force princière qui gouverne les autres, c’est-à-dire la raison.
Les abeilles n’ont qu’une reine, et dans tout l’univers, un seul Dieu, créateur et modérateur de toutes choses; et cela est raisonnable, car toute société dérive d’un seul. C’est pourquoi, si l’art cherche toujours à imiter la nature et qu’il soit d’autant plus parfait qu’il en approchera davantage, il faut que dans la société humaine le meilleur gouvernement soit celui d’un seul.
L’expérience elle-même confirme cette vérité. Car les provinces et les cités qui ne sont pas gouvernées par un seul chef, sont travaillées par les dissensions, et n’ont jamais de tranquillité, comme pour accomplir cette funeste vérité, dont le Seigneur se plaint par son prophète : « Plusieurs pasteurs ont ravagé ma vigne. » Au contraire les empires et les cités, qui sont gouvernés par un seul roi, vivent dans une heureuse paix, font fleurir les moeurs et la justice et sont dans l’abondance de toutes choses. Aussi le Seigneur promet-il à son peuple, par ses prophètes, comme une grande récompense, qu’il ne lui donneroit qu’un chef et qu’il n’y aurait qu’un prince aux milieu d’eux. 1
Védrine (1856), t. 3, pp. 211-213. ↩︎